EXTRAIT DE LA LETTRE DU PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D' ARBORICULTURE A M. COSTE

 

(voir le texte  intégral  plus bas)

 

Ce dossier a été monté uniquement "à charge" contre les arbres qui ont le malheur de se situer en bordure des routes du département. Ce dossier n'a pas été construit en pesant le pour et le contre. Les multiples impacts négatifs de ce projet d'élagage "massif" n'ont absolument pas été identifiés ni évalués. Quid de la biodiversité liée aux kilomètres de lisières des bords de routes arborés ? Quid de la trame verte (et bleue) dont la protection est instituée par la Loi ? Quid de la qualité des paysages du Limousin qui sont des paysages spécifiquement liés aux arbres ?On peut même se poser la question de la "rentabilité" de cette opération : est-ce que l'impact "négatif" des arbres sur les enrobés départementaux a fait l'objet d'une évaluation précise ? Et son importance a-t-elle été comparée avec la somme totale que devront débourser les propriétaires riverains, ces derniers payant par ailleurs des impôts au Département, pour, entre autre, l'entretien des routes....Double peine ? Dans le même ordre d'idée, si l'élagage massif est véritablement lié au passage du Très Haut Débit en aérien, pourquoi est-ce aux propriétaires d'en assumer intégralement le coût ?

 


SFA, chemin du Mas, 26780 Châteauneuf-du-Rhône

 

LETTRE A MONSIEUR LE PRESIDENT DU CONSEIL DEPARTEMENTAL DE LA CORREZE

 

Châteauneuf-du-Rhône, le 29 novembre 2017

 

Mr le Président

 

 La Société Française d'Arboriculture est une association nationale qui a pour objectif principal l'amélioration de la gestion des arbres, en particulier les arbres d'ornement (parcs, routes, villes....).

 Elle s'emploie également à promouvoir la prise en compte des arbres dans les aménagements urbains et autres. Elle est particulièrement soucieuse de la qualité du travail de taille et d'élagage et s'emploie à valoriser le "travail bien fait" : respect des règles de l'art, déontologie des élagueurs.....

 Les actions de la SFA prennent tout leur sens dans la perspective de faire participer pleinement les arbres à la lutte contre le réchauffement climatique et contre les îlots de chaleurs urbains. Remettre l'arbre au centre des préoccupations environnementales (biodiversité, cadre de vie) devient de plus en plus à l'ordre du jour pour de nombreuses associations (ASPPAR, SPPEF, A.R.B.R.R.E.S...). Le droit est également en train d'évoluer (Convention Européenne du Paysage, Code de l'Environnement -article 350-3 sur la protection des allées d'arbres et des alignements - loi Architecture et Patrimoine...).

 

Nous avons pris connaissance de la volonté du Conseil Départemental de faire pratiquer, sur une grande partie du réseau routier de la Corrèze, une opération massive d'élagage qui serait imposée aux particuliers en vertu de l'application du Code de la Voirie Routière.

Dans votre courrier et dans les différentes communications à la presse, nous avons noté que seules des raisons techniques sont invoquées pour justifier la nécessité et l'urgence de cette opération qui est assez "hors normes". En effet, si il est bien précisé dans le Code de la voirie que les riverains doivent élaguer les végétaux qui débordent sur l'espace public, une mesure générale appliquée de façon systématique à tout un département est tout à fait exceptionnelle. Les départements agissent en général au cas par cas et il est également rare que les frais soient automatiquement répercutés sur les riverains.

Il semble cependant avéré que le véritable fait déclencheur de cette campagne d'élagage soit la mise en oeuvre du réseau de fibres optiques (Très Haut Débit) qui sera déployé en aérien. On peut comprendre que cette caractéristique de l'installation soit liée à la fois à une recherche d'économie et aussi à l'objectif de desservir le moindre village ou hameau dans un département très rural et peu peuplé. Bref, les élus veulent légitimement moderniser le département et on ne peut pas leur en tenir rigueur.

 

 Il apparaît néanmoins que de nombreux points de ce dossier hors normes soient préoccupants, voire inquiétants :

- l'arbre de bord de route est présenté dans le dossier technique comme quelque chose de  nuisible et négatif : risques et gènes des usagers, facteur de dégradation de l'infrastructure, ombrage, gêne pour les réseaux aériens. Le fait que l'arbre puisse au contraire avoir de nombreuses vertus et soit générateur d'aménités est complètement passé sous silence. Il est dit que l'élagage est une "responsabilité collective" mais on oublie de rappeler que les arbres sont également "un bien commun" qu'il faut respecter pour des raisons admises par une part importante de la population.

 

- l'élagage qui est évoqué dans votre courrier est bien un élagage total de tout ce qui dépasse au delà de la limite du terrain privé (le schéma joint est clair). Il va de soit que ce grand trait de coupe est totalement contraire aux règles d'un élagage raisonné qui respecterait l'intégrité physique et physiologique des arbres. Les arbres sont des êtres vivants et pas du mobilier urbain.

 

Votre courrier n'attire d'ailleurs pas du tout l'attention des propriétaires sur la qualité de l'élagage à réaliser ou pour mettre en garde les riverains des conséquences d'un élagage mal fait. La porte est donc totalement ouverte aux élagages non conformes avec les nouvelles normes professionnelles, qui seules peuvent garantir que l'arbre ne sera pas dégradé et qu'il ne sera pas plus dangereux après élagage qu'il ne l'était avant (nous vous conseillons la lecture des documents techniques édités par l'Union Nationale des Entreprises du Paysage -UNEP- réf en fin de courrier). Compte tenu de la quantité de travail à fournir pour respecter les objectifs du Département, il est évident que les quelques professionnels vraiment compétents du secteur ne pourront pas satisfaire à la demande. Il y a également la question du coût : un élagage consciencieux du patrimoine arboré des particuliers atteint vite des sommes que peu pourront se payer. In fine on aura donc de l'élagage au kilomètre du type de celui mis en oeuvre pour le dégagement des lignes électriques. Les appels d'offres qui seront passés à cet effet ne manqueront sans doute pas d'introduire un critère "économique" dans la consultation, ce qui empêchera tout travail conforme aux règles professionnelles.

- rien n'est précisé sur le sort qui sera réservé aux arbres d'alignement du domaine départemental ou communal. Nous nous permettons de vous rappeler que l'article 350-3 du Code de l'Environnement protège spécialement ces plantations et qu'il est interdit par exemple "d'abattre,de porter atteinte, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement d'un ou plusieurs arbres d'une allée ou d'un alignement d'arbres ". Les exceptions à cette interdiction sont liées uniquement à des aspects sanitaires ou de protection des personnes et des biens. Il est donc totalement exclu de procéder sur des plantations d'alignement, à des élagages asymétriques (qui portent atteinte aux arbres) soit pour "protéger" le goudron, soit pour dégager le passage des lignes.

 

Comment le Conseil Départemental envisage-t-il le respect de ce texte dans le cadre des travaux qui seront entrepris ? Il faut quand même voir que si on reproche bien des choses aux arbres riverains qui empiètent sur la chaussée, c'est la situation usuelle des arbres d'alignements.....Nous aimerions connaître votre position sur cette question. Il faut noter également qu'il y a aussi un changement de doctrine concernant la "dangerosité" des arbres d'alignement : bien des alignements sont considérés maintenant plus comme des aides à la conduite (guidage optique, effet de paroi...) que comme de dangereux obstacles qu'il faut éradiquer partout...Les alignements sont maintenant clairement reconnus comme des facteurs de "conduite apaisée".

 

- rien n'est précisé sur les arbres qui seraient situés dans les abords de monuments historiques (inscrits ou classés) : la nouvelle loi sur le Patrimoine et l'Architecture impose que, même pour des travaux d'entretien sur des arbres, dans la mesure où leur aspect sera modifié, ces travaux fassent l'objet d'une déclaration préalable soumise à l'avis conforme de l'ABF. Rien n'est dit non plus sur les arbres qui seraient dans des sites classés ou inscrits, ou dans des ZPPAUP ou des AVAP, ou encore qui se situeraient dans un parc naturel régional (Millevaches).

 

- rien n'est dit non plus sur les arbres situés sur route départementale mais après les panneaux d'agglomération. Les travaux d'élagages ne relèvent pas de l'autorité du Département mais uniquement du Maire des communes concernées qui peut avoir sans doute un avis différent des autorités départementales.

 

- enfin, rien n'est dit de la valeur paysagère ou du caractère pittoresque des certains arbres ou groupements d'arbres. Certaine routes, par exemple, sont notées "vertes" ou "pittoresques" sur les cartes à cause de l'effet de voûte des arbres situés de chaque côté. Certains arbres remarquables ont été inventoriés dans un travail fait sur le territoire du Limousin. Des propriétaires ont pu faire labelliser leurs arbres" remarquables" par l'association A.R.B.R.E.S. Ils s'engagent à ce titre à respecter leurs arbres et à les traiter avec soin. Que se passera-t-il si un "arbre remarquable" déborde au dessus de la route ? Votre courrier ne fait aucune mention de tous ces cas particuliers qui méritent une approche spécifique et personnalisée. Du point de vue de la technique d'élagage il faudrait au moins donner des conseils aux riverains : on n'élague pas un grand arbre avec un houppier de façon asymétrique par exemple. D'une part l'arbre est déséquilibré et devient dangereux, d'autre part il devient très laid et de façon irréversible. Les "vieux arbres", de leur côté, nécessitent des techniques de taille tout à fait spécifiques que seules quelques entreprises maîtrisent.

 

Remarque technique : un élagage asymétrique total comme vous le demandez va impacter fortement les racines du côté élagué. Le dépérissement racinaire qui s'ensuivra inéluctablement rendra ces arbres très dangereux surtout en bord de route. Si des accidents se produisent, les propriétaires mis en cause pourraient se retourner contre le Département.

 

Notre sentiment est que ce dossier a été monté uniquement "à charge" contre les arbres qui ont le malheur de se situer en bordure des routes du département. Ce dossier n'a pas été construit en pesant le pour et le contre. Les multiples impacts négatifs de ce projet d'élagage "massif" n'ont absolument pas été identifiés ni évalués. Quid de la biodiversité liée aux kilomètres de lisières des bords de routes arborés ? Quid de la trame verte (et bleue) dont la protection est instituée par la Loi ? Quid de la qualité des paysages du Limousin qui sont des paysages spécifiquement liés aux arbres ?On peut même se poser la question de la "rentabilité" de cette opération : est-ce que l'impact "négatif" des arbres sur les enrobés départementaux a fait l'objet d'une évaluation précise ? Et son importance a-t-elle été comparée avec la somme totale que devront débourser les propriétaires riverains, ces derniers payant par ailleurs des impôts au Département, pour, entre autre, l'entretien des routes....Double peine ? Dans le même ordre d'idée, si l'élagage massif est véritablement lié au passage du Très Haut Débit en aérien, pourquoi est-ce aux propriétaires d'en assumer intégralement le coût ?

 Si ce dossier est réellement motivé par l'arrivée du très haut débit par fibre optique aérienne, il semble que l'importance financière de cette infrastructure aurait dû déclencher une étude d'impact "au cas par cas". L'impact sera en effet très important, tant du point de vue du paysage que du point de vue de la biodiversité (dégradation de la trame verte). La DREAL a-t-elle été associée à cette  opération ? Le Paysagiste Conseil a-t-il donné un avis ? L'Inspecteur des Sites a-t-il été sollicité ?

 

Un projet d'une telle importance, aussi "radical" ne semble pas recueillir beaucoup d'adhésion dans la population. L'absence de la moindre concertation, son côté très technocratique, le rendent semble-t-il assez impopulaire. Les coûts de l'élagage que constatent les propriétaires sur les devis sont également un frein très important à l'adhésion à votre projet.

 

La SFA est pleinement dans son rôle de promotion d'une gestion raisonnée du patrimoine arboré en essayant d'oeuvrer pour améliorer ce projet. Il est sans doute possible d'y parvenir par le dialogue et la concertation : les solutions techniques peuvent être modulées en fonction des lieux et des diverses contraintes. L'élagage au ras de l'emprise ne doit être envisagé qu'en dernier recours, car ce n'est jamais une solution satisfaisante. Le Département de la Creuse a essayé il y a quelques années de mener le même genre de campagne "radicale". Le travail avec des associations et le paysagiste du CAUE a permis d'améliorer le projet et d'éviter les multiples impacts négatifs d'une vision uniquement technocratique de l'arbre "coupable" (dans les deux sens du terme) de tous les maux de la route.

 

Nous sommes une force de proposition et nous demandons, en association avec Corrèze Environnement et avec un collectif de professionnels de l'arbre en Limousin, qu'une concertation s'installe le plus vite possible et qu'un moratoire s'applique dès maintenant aux élagages. Cette concertation pourrait démarrer avec une table ronde, à l'invitation du Conseil Départemental, où chacun pourrait faire connaître son point de vue : propriétaires, professionnels, naturalistes, responsables du tourisme....C'est en effet aussi un projet qui risque de défigurer et de porter atteinte durablement à un Département qui a une carte à jouer importante dans le domaine du tourisme vert et de la qualité de l'environnement.

 

 Nous souhaitons donc, Mr le Président, que vos services prennent rapidement contact avec notre association pour mettre en place cette concertation. Nous souhaitons réellement vous aider à améliorer le projet.

 

 Avec nos respectueuses considérations

 

 Pour la SFA, le président, Laurent Pierron,